Quand l’industrie pharmaceutique transforme en maladie tout processus naturel chez la femme
Un billet d’humeur publié hier par le médecin généraliste Luc Perino dénonce “l’invention” de nouvelles maladies par l’industrie pharmaceutique afin de développer des marchés, et ce particulièrement concernant le corps féminin.
Extrait :
“Beaucoup de ces maladies sorties de l’imaginaire marchand concernent les femmes. La ménopause a été le premier grand succès de ces fantasmagories pathologiques. Hélas, son traitement a tant multiplié les cancers du sein qu’il a fallu recourir à des sous-catégories pour ne pas laisser échapper ce gros marché. La première a été l’ostéoporose post-ménopausique où s’est révélée l’inutilité de tous les traitements préventifs et curatifs, hors la marche régulière.“
En notre époque où le harcèlement des femmes est devenu un sujet majeur de société, comment pouvons-nous rester aussi aveugles à leur harcèlement itératif et insidieux par un marché habilement banalisé ?
Il dénonce ensuite l’inscription au DSM5 du « trouble dysphorique prémenstruel » (le fait de changer d’humeur avant les règles) qui est pourtant tout ce qu’il y a de plus logique et naturel quand on observe les variations hormonales du cycle féminin mais qui justifierait de nouveaux traitements à vendre et à prescrire…
D’où sa conclusion :
“En notre époque où le harcèlement des femmes est devenu un sujet majeur de société, comment pouvons-nous rester aussi aveugles à leur harcèlement itératif et insidieux par un marché habilement banalisé ?
Les femmes assurent depuis toujours l’essentiel du coût de la reproduction et des soins parentaux. Ces humeurs cycliques sont une rémanence bien discrète du long processus évolutif qui nous a permis d’être là. Comment peut-on être dégénéré, cupide ou prétentieux au point de vouloir les infléchir ?”
Repenser sa contraception, un acte féministe révolutionnaire :
Une réflexion humaniste et pleine de bon sens qui rejoint ce qu’évoque Sabrina Debusquat dans J’arrête la pilule :
“Ces nouvelles féministes considèrent la médicalisation systématique de chaque étape de leur vie comme une forme de domination exercée sur elles. Pilule dès l’adolescence pour « régulariser le cycle », examens gynécologiques qui obligent à se dévêtir totalement et à exposer son intimité « juste pour vérifier que tout va bien », accouchements inutilement hypermédicalisés et formatés à la convenance des médecins au mépris du confort de la patiente, ménopause traitée comme une affreuse maladie, pression exercée pour le dépistage du cancer du sein dès quarante ans… Tout cela instille insidieusement l’idée d’un corps féminin forcément défaillant, ingérable, incapable. Comme si chaque phénomène physiologique normal chez la femme devenait une nouvelle maladie à traiter.”
Ces nouvelles féministes considèrent la médicalisation systématique de chaque étape de leur vie comme une forme de domination exercée sur elles. […] Tout cela instille insidieusement l’idée d’un corps féminin forcément défaillant, ingérable, incapable. Comme si chaque phénomène physiologique normal chez la femme devenait une nouvelle maladie à traiter.
“La misogynie dans tout ça ? C’est qu’on a réussi à faire croire aux femmes que sans cet interventionnisme médical elles sont incapables de faire face à ça. Ainsi, en imposant leurs choix contraceptifs, et non ceux qu’on voudrait pour elles, ces femmes sont en train de changer profondément nos sociétés. Elles ne veulent plus se détester ni se renier pour être partie prenante du monde. […] Elles utilisent cette science pour mieux apprendre d’elles-mêmes et adapter la société à leurs souhaits au lieu de se plier douloureusement à des standards érigés sans elles. Elles considèrent que la vraie force, la vraie liberté des femmes, le seul moyen de remédier aux injustices sexistes commencent par le fait d’arrêter de chercher à cacher ou modifier ce qu’elles sont.”
Lire le billet en entier : “Très lointaines humeurs féminines” par Luc Périno.
Le féminisme oublié qui n’oublie pas le corps :
Cette vision des choses évoquée par Luc Périno était celle que partageaient des féministes comme Annie Leclerc. En effet, le féminisme aujourd’hui “dominant” en France est un féminisme qui a parfois tendance à oublier les choses du corps ou à être mal à l’aise, peu clair sur ces sujets. L’article Féminisme et maternité : le roman de Mélusine d’Agnès Echene résume à ce sujet :
“Simone de Beauvoir est une grande philosophe, une grande théoricienne du féminisme, mais également un pur produit de la noble intellectualité. Elle écrit, dans Le Deuxième Sexe, « les femmes renferment en elles un élément hostile, c’est l’espèce qui les ronge ». On se trouve là encore dans la corporalité difficile à intégrer dans la philosophie.
Un féminisme philosophique qui a du mal à intégrer les hormones, la biologie.
Le féminisme post-beauvoirien a néanmoins fait une tentative de reconversion. Avec Annie Leclerc, tout ce qui était ordure est devenu de l’or. Son livre Épousailles est une ode à la féminitude, glorifiant tout ce qui était méprisé auparavant, comme les humeurs, le sang, les règles, les douleurs de l’accouchement : « Quand je découvre que l’accouchement est un éclatant bonheur et non un bourbier de souffrances abjectes, ce n’est pas seulement la révélation d’un trésor enfoui qui m’enchante et la splendeur d’un secret bien plaisant à divulguer. » Elle a été violemment critiquée par de nombreuses féministes qui n’ont pas admis ce changement de point de vue, et beaucoup de grandes féministes des années 70, Betty Friedan, Kate Millett, Erica Jong n’ont pas dépassé ces contradictions. Soit elles ont sombré dans une espèce de folie comme Kate Millett, soit, comme Erica Jong, elles en sont revenues à célébrer la féminité la plus traditionnelle. Il y a donc quelque chose de problématique dans cette recherche de la conceptualisation d’un féminisme philosophique qui a du mal à intégrer les hormones, la biologie. […]
On se rend compte que le féminisme des droits acquis n’est pas forcément le féminisme de la libération. Le pouvoir espéré n’a nullement suivi les droits octroyés, acquis.
Le féminisme peine à réfléchir ce qui touche la biologie, la physiologie […] la maternité reste toujours sur la marge. […] En décidant elles-mêmes d’avoir des enfants quand elles le veulent, les femmes endossent la responsabilité de l’enfant, et c’est comme si elles acceptaient d’assumer seules la totalité des charges qui en dépendent. […] On se rend compte que le féminisme des droits acquis n’est pas forcément le féminisme de la libération. Il y a des féminismes qui sont conceptualisés, le féminisme des droits, et le féminisme de la libération qui voit les choses sous un angle plus anthropologique. Le pouvoir espéré n’a nullement suivi les droits octroyés, acquis. “
Eclipsée du féminisme des années 1970, Annie Leclerc affirmait que la vraie révolution est celle d’un féminin qui construit un monde où l’on fait avec son corps et non contre. Une belle part de la vague actuelle des femmes de la génération no pilule revient, cinquante années plus tard à ce constat. Un constat et une volonté : construire un monde où les corps autant que l’esprit des femmes prennent toute la place qui leur revient sans avoir à se renier pour se frayer un chemin sur les sentiers balisés par et pour l’homme. Un nouveau monde en somme. Pourtant visiblement très “révolutionnaire” encore en 2017.
Construire un monde où les corps autant que l’esprit des femmes prennent toute la place qui leur revient sans avoir à se renier pour se frayer un chemin sur les sentiers balisés par et pour l’homme.
Voici ce qu’elle disait en 1974 dans Parole de femme (qui signera la fin de son amitié avec Simone de Beauvoir) :
“Alors voilà que les femmes ouvrent la bouche et que leur langue se délie… […] Mais cela n’est rien encore… A vrai dire cela ne sera rien si la femme ne parvient pas à tisser le tissu plein et neuf d’une parole jaillie d’elle-même. […] Attention, femme, attention à tes paroles. […] Ne réclame pas ce dont l’homme jouit car ce n’est rien d’autre que les armes de ton oppression. Ne réclame pas la part d’un festin qui n’est que de charognes.”
À travers ces mots Annie Leclerc n’exhortait pas à renoncer aux combats féministes “historiques” mais plutôt à demander encore davantage, à aller plus loin en créant une société réellement bâtie avec les femmes et non pas juste “incluant les femmes” ou les “tolérant” à condition qu’elles renient entièrement leur biologie, qu’elles la mettent en sommeil. Annie Leclerc invitait à créer un monde où la force des femmes est d’être pleinement tout ce qu’elles veulent. Un monde où elles n’aient pas à voguer de manière épuisante entre deux pôles opposés parce que la société les y oblige : l’archétype de la femme au foyer et celui de la working girl. Un monde où, parce que la corps de la femme est renié, cette dernière est obligée de sans cesse faire des concessions à celu-ci pour “s’intégrer”. Un féminisme puissant et intégral qui laisse autant de place au corps qu’à l’esprit.
Car en effet, peut-on réellement considérer comme abouti et féministe un monde où tout ce qui touche au corps des femmes – la grossesse, les menstruations, l’allaitement et le plaisir féminin – se dissimule ou “s’expédie” à toute vitesse dans des cadres normés afin que ces dernières puissent vite reprendre la route des courses effrenées que sont devenues leurs vies ? Un monde où les femmes s’acharnent sans cesse à scinder leur être en deux et à faire taire leur corps dans l’espoir de faire accepter au moins leur esprit…
Ne peut-on pas faire mieux ?
Pour en savoir plus sur la pilule, son histoire, son impact sur la santé et l’environnement, lisez J’arrête la pilule.
Pour aller plus loin…
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