Droit femme combat pilule

[Tribune] Laissez les femmes se libérer elles-mêmes

En septembre 2017 à la sortie de son enquête J’arrête la pilule, la journaliste Sabrina Debusquat avait bien du mal à faire entendre que ne pas vouloir prendre la pilule ne revient pas à de l’anti féminisme ou à un retour en arrière. Neuf mois plus tard, ce discours est enfin devenu audible dans le débat public.

Droit femme combat pilule

Hasard ou libération de la parole ? En tout cas une avancée pour les droits des femmes qui doivent toujours reposer sur le choix.

La tribune parue le 24 juin 2018 dans Libération et intitulée “Sexualité : laissez les femmes se libérer elles-mêmes(voir extraits plus bas) est une réponse à une première tribune publiée 20 jours auparavant par deux gynécologues : “Le retour à la nature, nouvelle soumission des femmes“.

La première tribune des deux gynécologues (en conflit d’intérêts) disait en résumé :

“Oubliant la libération que représentèrent la pilule, la péridurale ou le traitement hormonal de la ménopause, les Françaises se détournent de ces acquis de la science pour des méthodes «naturelles» d’un autre âge.”

Comprenez : celles qui refusent pilule, péridurale et traitements hormonaux de la ménopause sont d’affreuses rétrogrades qui ont oublié la condition des femmes avant ces avancées et à qui il faut tout réexpliquer. Paternalisme médical, bonjour.

Comme l’expliqueront deux jeunes journalistes quelques jours plus tard sur l’Obs/Rue 89 : ces deux gynécos sont totalement “à côté de la plaque” (ne serait-ce que parce qu’ils sont incapables d’écouter la parole des femmes, ajouterons-nous).

Tribune libération pilule gynécologues

Une deuxième contre-tribune plus argumentée enfoncera le clou : “Sexualité : laissez les femmes se libérer elles-mêmes“. En voici quelques extraits :

“Mais qu’est-ce que se libérer ? Refuser l’aliénation technique et chimique n’équivaut-il pas à se défaire des contraintes qui pèsent sur le corps féminin ?”

“Voilà donc deux médecins (1) en train d’expliquer aux femmes que leur corps est défaillant, que leur biologie est aliénante et qu’il est bon de se libérer de ses limites et de ses contraintes… en adoptant d’autres contraintes, comme celle de la camisole chimique. Ce serait cela, être féministe.”

“Rejeter l’objet qui a symbolisé la conquête féministe ne signifie pas rejeter la conquête en elle-même. La conquête n’est pas l’objet mais sa possibilité, c’est-à-dire le droit d’y avoir recours. C’est très différent. Les luttes féministes actuelles pour le droit à disposer de son corps durant l’accouchement ou pour le droit d’allaiter sont des approfondissements et des prolongations des luttes passées, et non leurs négations.”

Deux gynécologues à court d’arguments, [qui] ne font que refléter la façon dont notre société organise l’accueil des expressions caractéristiques du corps féminin : par la dissimulation.

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“Au fond, ce que nous voyons là, ce sont deux gynécologues à court d’arguments, brandissant l’épouvantail d’un déterminisme biologique très mal compris (un comble pour des médecins !) qui semblent exprimer un mépris du corps féminin et de sa physiologie. Malheureusement, en cela, ils ne font que refléter la façon dont notre société organise l’accueil des expressions caractéristiques du corps féminin : par la dissimulation.”

“Derrière cette idée […] il y a une forme de dévalorisation du corps féminin par la suggestion que celui-ci est plus fragile, plus vulnérable. C’est précisément cette idée de fragilité du corps féminin qui a justifié son assujettissement à la médecine.”

Refuser l’aliénation technique et chimique équivaut à se libérer des contraintes culturelles, sociales, économiques, politiques qui pèsent sur le corps des femmes

“Si la contraception médicalisée ou autres modes de médicalisation de la physiologie féminine [péridurale,  traitement hormonal substitutif pour la ménopause] peuvent être vus comme une libération, ils peuvent aussi être vus comme une nouvelle forme d’aliénation, plus insidieuse car se donnant l’allure d’une libération et d’un progrès moral (tristement réduit au progrès technique). Alors, refuser l’aliénation technique et chimique équivaut à se libérer des contraintes culturelles, sociales, économiques, politiques qui pèsent sur le corps des femmes. Limiter les raisons du choix des femmes en direction de méthodes non médicales à des scandales sanitaires, c’est complètement nier les effets secondaires réels subis par de nombreuses utilisatrices.”

“Rendre vraiment les personnes libres, c’est permettre leur autonomie, ne pas entraver l’exercice de leur libre arbitre et de leur jugement avec des arguments aussi déloyaux que ceux que l’on trouve sous la plume des deux gynécologues. Laissez-nous nous libérer nous-mêmes !”

Une version complète de cette tribune est visible ici : La dépendance à l’industrie pharmaceutique, une libération, vraiment ?

Sabrina Debusquat a décidé de soutenir cette tribune en y apposant sa signature car cela colle parfaitement avec ce qu’elle décrit dans J’arrête la pilule :

“Bien que de nombreuses féministes refusent de l’entendre, cette remise en question est avant tout opérée par les femmes elles-mêmes. En arrêtant la pilule, en mettant fin au tabou des règles ou en dénonçant les violences gynécologiques, une nouvelle génération de femmes nous bouscule avec un féminisme sans concession. Leur façon d’exiger que leur intégrité corporelle et leur opinion ne soient pas des options force à constater que cela n’était pas totalement le cas jusque-là.”

En imposant leurs choix contraceptifs, et non ceux qu’on voudrait pour elles, ces femmes sont en train de changer profondément nos sociétés. Elles ne veulent plus se détester ni se renier pour être partie prenante du monde.

Combat contraception feminisme

“En imposant leurs choix contraceptifs, et non ceux qu’on voudrait pour elles, ces femmes sont en train de changer profondément nos sociétés. Elles ne veulent plus se détester ni se renier pour être partie prenante du monde. Elles considèrent que la vraie force, la vraie liberté des femmes commencent par le fait d’arrêter de chercher à cacher ou modifier ce qu’elles sont.”

“Celles qui se sont battues pour la pilule ne doivent pas en faire un nouveau conservatisme ni croire que les nouvelles générations leur crachent au visage. Ces nouvelles générations s’adaptent à des réalités nouvelles et, malgré les idées reçues, placent la barre de leurs exigences encore plus haut que leurs aînées.”

“N’est-il pas temps que la société entende tout haut ce que la plupart des femmes pensent tout bas ? À savoir, « je veux maîtriser ma contraception mais pas avoir à souffrir pour cela ».

Un texte qui rejoint également deux autres articles rédigés par Sabrina Debusquat :

Quand l’industrie pharmaceutique transforme en maladie tout processus naturel chez la femme

Mais comment faisaient les femmes pour vivre avant la médecine moderne ?

 

Pour découvrir en détails les concepts féministes que développe Sabrina Debusquat à propos de la contraception, lisez  J’arrête la pilule.